interview : Charles-Edouard Anfray, ancien délégué sûreté Europe occidentale de Total


interview : Charles-Edouard Anfray, ancien délégué sûreté Europe occidentale de Total

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Article N°25726

interview : Charles-Edouard Anfray, ancien délégué sûreté Europe occidentale de Total

Ancien élève de l’école spéciale militaire de Saint-Cyr (1985-1988), Charles-Edouard Anfray sert ensuite dans la gendarmerie jusqu’en 2002, avant de rejoindre Total. Il y a exercé des fonctions dans les métiers de la communication, la sûreté, la gestion de crise, le sociétal, en France, au Yémen, au Nigéria puis en France à nouveau, avant d’être nommé délégué sûreté Europe occidentale et coordinateur sûreté de la branche Raffinage-Chimie.

Que recouvre selon vous la notion de sûreté ?

Pour une entreprise qui travaille dans le monde entier, comme pour toute entreprise d’ailleurs, la sûreté est un préalable essentiel. Sans sûreté il n’y a pas d’activité économique viable.

Le spectre des domaines couverts par la sûreté est très large. Au sens strict, il s’agit de protection physique des personnes et des infrastructures de l’entreprise, de lutte contre la malveillance. Mais cette protection s’étend également sur des actifs immatériels, comme par exemple la protection de l’information, voire la cybersécurité. Parfois la direction de la sûreté est également en charge de sujets comme la compliance, l’éthique, la gestion de crise, la lutte contre la fraude, etc. Dans tous les cas, il faut s’assurer que cette protection est opérationnelle en tout temps et en tout lieu. Un groupe de la taille de Total a ainsi recours à de nombreux prestataires, pour assurer la sûreté de ses personnels comme de ses infrastructures, à l’étranger comme sur le territoire national.

Comment êtes-vous organisés pour assurer vos missions ?

La sûreté comprend 3 fonctions principales : la veille, la protection et les opérations.

La veille consiste à suivre l’évolution de la menace dans les pays où nous avons des activités. La protection définit des standards et un niveau d’exigence qui est harmonisé dans tous les pays, elle assure également un suivi des innovations technologiques. Enfin, les opérations suivent au quotidien les événements qui se produisent dans tous les pays pour assurer une sûreté au plus près de nos collaborateurs et de leurs activités.

Comment peut-on protéger l’information ?

En effet, si la protection des personnes et des infrastructures fait l’objet de mesures matérielles clairement identifiables, la maîtrise des informations nécessite de développer, en premier lieu chez les collaborateurs de l’entreprise, une véritable culture de sûreté qui se traduit par une attitude de vigilance dans le comportement et de réserve dans l’expression.

La maîtrise de l’information passe en premier lieu par la maîtrise de son expression. La charge de ne pas divulguer d’informations, délibérément ou à son insu, incombe à tout collaborateur de l’entreprise, surtout lorsqu’il se trouve en situation de communiquer ou bien en déplacement, notamment en ce qui concerne les voyageurs en mission. Le but est d’éviter que des informations stratégiques ne soient révélées à l’insu de voyageurs en déplacement, par exemple en train ou en avion. 

La mise en place de mesures de protection adaptées pour les circuits financiers et pour les systèmes de télécommunications à l’étranger (allant de la simple pose de filtres de confidentialité sur les terminaux mobiles, jusqu’à la construction d’infrastructures dédiées) répond également à cet impératif.

En quoi consiste votre rôle de délégué géographique ?

Le Groupe, à l’instar de nombreux autres grands groupes industriels du CAC 40, déploie à l’étranger un réseau de correspondants sûreté dans les pays, appelés country security officers. Leur rôle est multiple, ils doivent aussi bien sensibiliser les voyageurs missionnaires aux risques inhérents à leur zone de déplacement, contribuer à l’analyse de la menace dans le pays, que rendre compte à la direction de la sûreté des incidents en cours.

Mon rôle consiste à animer ce réseau de correspondants dans ma zone (Europe occidentale), je suis en contact permanent avec eux et nous suivons la situation dans les pays, afin d’adapter en permanence notre dispositif pour protéger au mieux les collaborateurs de l’entreprise et leurs activités.

Y a-t-il une transformation de la fonction Sûreté selon vous ? Quelles mutations peut-on prévoir dans les prochaines années pour le poste de Directeur Sûreté ?

On observe en effet, année après année, une évolution des menaces et donc une évolution des priorités. On surveille dans tous les pays 3 indicateurs essentiels dits « CPT » (pour Criminalité, Politique et Social, Terrorisme). Les indicateurs évoluent. Par exemple après l’affaire Merah, puis les attentats terroristes en France, dont le Bataclan, dans les années 2015-2016, on a constaté une forte préoccupation pour les thématiques de terrorisme et le risque de radicalisation en entreprise.

Aujourd’hui, ces thématiques restent prioritaires, mais elles côtoient de plus en plus d’autres thèmes liés aux activités d’un groupe international dans le secteur de l’énergie (climat, carburants, préservation de l’environnement…) qui préoccupent les populations et les ONG et peuvent générer des actions militantes, parfois pacifiques, parfois plus violentes, avec toujours de manière latente un risque pour nos collaborateurs que la direction sûreté doit s’efforcer d’anticiper et de minimiser.

Y a-t-il une évolution des profils au sein du métier sûreté ?

Beaucoup de grands groupes ont choisi de nommer à la tête de leur direction sûreté des cadres de très haut niveau, professionnels des métiers de la sûreté (anciens militaires, policiers ou gendarmes). Il y a aussi dans beaucoup d’entreprises de taille intermédiaire des directeurs qui cumulent les fonctions de sûreté avec celles de sécurité industrielle, spécialistes des thématiques de la HSE (hygiène, sécurité, environnement).

Quel que soit son profil, un directeur sûreté doit avant tout s’imprégner de la culture de son entreprise. C’est pourquoi d’autres profils plus diversifiés ont, je crois, autant d’avenir dans ce métier. Un passage par d’autres métiers, des expériences d’expatriation, permettent également de disposer d’une bonne vision des problématiques et risques inhérents à notre activité. 

Dans tous les cas, un directeur sûreté doit savoir répondre aux situations imprévues et complexes, qui ne sont pas toujours uniquement des crises de sûreté. C’était par exemple le cas au moment de l’éruption du volcan islandais Eyjafjallajökull en avril 2010, qui a cloué au sol tous les avions dans l’espace européen, ou encore après le tsunami et la terrible catastrophe de Fukushima au Japon en mars 2011. Au sein du groupe Total, c’est vers le directeur sûreté que l’on s’est tourné à l’époque pour trouver des solutions et des réponses. De même pour toute une série d’événements imprévus et inédits, attentats, coups d’Etats, phénomènes climatiques, accidents très graves…

En conclusion je ne peux que conseiller aux étudiants et professionnels de l’Intelligence économique de s’orienter vers les métiers de la sûreté, qui leur procureront beaucoup de satisfactions professionnelles, pour autant qu’ils sachent garder les pieds sur terre, une bonne dose de bon sens et de curiosité, et quand même un certain recul et un solide esprit critique face à des situations pas toujours prévues ni prévisibles.

Le 15 février 2019 par Jonathan Chaste et Kévin Noyerie pour le Club Sûreté de l'AEGE


jonathan CHASTE

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