Carmen Créole à l'opéra Bastille : l’embrasement lyrique des Voix des Outre-mer


Carmen Créole à l'opéra Bastille : l’embrasement lyrique des Voix des Outre-mer

Article
Accueil Jonathan Chaste
 
| Jonathan Chaste | Concert lyrique | Voix des Outre-mer  Vu 2939 fois
Article N°28794

Carmen Créole à l'opéra Bastille : l’embrasement lyrique des Voix des Outre-mer

Un frisson a traversé la nef de velours de l’Amphithéâtre Bastille, ce soir-là (30 juin 2025), non pas celui d’un opéra ordinaire, mais celui d’un souffle métissé, créole, insoumis. Ce fut Carmen, oui, mais une Carmen transfigurée par les Voix des Outre-mer, dans une version portée par l’intelligence du verbe, l’élégance du geste et la fierté des racines. Une proposition scénique audacieuse et enchanteresse, fruit de l’engagement passionné de Fabrice Di Falco fondateur du Concours des Voix des Outre-mer, et Julien Leleu, président de l'association 'Les Contre-courants' devenu en quelques années l’un des plus lumineux viviers de talents lyriques francophones.

Carmen devient Kréyòl, l’ardente réinvention d’un mythe

Ici, la bohémienne andalouse renaît sous les traits d’une femme créole affranchie, toute en sensualité, ironie et détermination. Sous la voix ample et charismatique de Marie-Laure Garnier, la Carmen créole n’obéit ni aux hommes, ni aux normes : elle séduit, elle rit, elle meurt libre. Les mots de Georges Bizet et de Prosper Mérimée s’entrelacent désormais avec les sonorités des Antilles, les couleurs du madras et les coups de tambour bèlè.

La mise en scène, fluide et immersive, a magistralement investi tout l’espace de l’Amphithéâtre : les artistes surgissent des escaliers, et s’y échappent, traversent les allées – abolissant la frontière scène-salle pour mieux saisir l’attention du spectateur. Une scénographie vivante, organique, en symbiose avec le rythme et les silences.
 

Une partition augmentée, du bèlè au chouval bwa

L’Orchestre du Théâtre de Rungis, sous la baguette inspirée de Laurent Goossaert, a livré une interprétation d’une rare finesse. Mêlant rigueur classique et pulsation caribéenne, les musiciens ont offert une lecture musicale qui magnifie les frottements entre traditions. À la syncope du « tac pi tac » du chouval bwa martiniquais s’est mariée l’intensité dramatique de Bizet, dans une fusion subtile et vibrante. Le métissage n’était pas décoratif : il était langage, souffle, évidence.

La richesse chorégraphique n’était pas en reste : les danseurs de bèlè (danse traditionelle de Martinique) ont incarné avec une noblesse saisissante les élans du peuple, les transes de la liberté, les mémoires corporelles des Antilles. Chaque pas de danse était un acte poétique, une réminiscence d’îles battues par les vents et les résistances.
 

La parole créole, l’intelligence de l’humour

Fabrice Di Falco, maître de cérémonie, n’a pas seulement présenté le spectacle – il l’a habité de sa verve, de son humour finement créole, tissé de références et d’expressions connues aux Antilles, réveillant rires complices et souvenirs partagés. Sa narration, en créole, pleine de double sens, d’anecdotes savoureuses et de malice théâtrale, a su faire le pont entre l’opéra et le conte populaire, entre la tragédie et le stand-up lettré.

Ce moment d’unité a culminé avec une participation joyeuse du public : le fameux “Yié Kri, Yié Kra !” – lancé par Fabrice et repris en chœur par la salle – a résonné comme un acte de communion, un cri de joie, une incantation identitaire. L’art lyrique ici ne se donne pas à distance : il s’invite dans la peau, dans la voix, dans la foule.
 

Un manifeste esthétique et politique

Plus qu’un spectacle, Carmen créole fut un manifeste. Celui d’une excellence artistique qui n’a plus à quémander sa place dans les hautes sphères de l’art lyrique. Celui d’une créolité digne, conquérante, qui ose réinterpréter les canons européens sans les renier. Celui d’une jeunesse ultramarine formée, accompagnée, et portée à la scène dans la plénitude de son talent.

Les artistes réunis pour cette soirée d’exception – Marie-Laure Garnier, Livia Louis Joseph Dogué, Paul Gaugler, Dmytro Voronov, Axelle Rascar Moutoussamy, Ludivine Turinay, Auguste Truel, Juan Medina, Ève Tibere – ont offert une performance de haut vol. Mention spéciale au chœur d’enfants et aux musiciens engagés, vecteurs d’un lyrisme authentique et incarné.
 

Un projet de rayonnement, un devoir de transmission

Depuis sa création en 2018, le concours des Voix des Outre-mer est bien plus qu’une vitrine : il est une école, un tremplin, un passeport pour l’excellence. Soutenu par le Ministère des Outre-mer, le Ministère de la Culture, le CNM et l’Opéra de Paris, il redonne souffle à l’art lyrique, le reconnecte aux territoires, aux corps, aux mémoires. Alexander Neef et ses équipes, en accueillant cette Carmen créole à l’Amphithéâtre Bastille, ont ouvert les portes du temple à une autre façon de dire le monde.
 

informations complémentaires www.voixdesoutremer.com

crédit photo : Voix des Outremer


Jonathan CHASTE

  • 0
    • j'aime
    • Qui aime ça ? »
  • 0
    • je n'aime pas
    • Qui n'aime pas ça ? »
  •  
 

Réagissez, commentez !

  • Aucun commentaire pour l'instant
rechercher un article, une vidéo...