Depuis quelques années, un effort considérable a été fait pour mieux comprendre et diffuser le rôle fondamental de l'intelligence économique dans le secteur de la défense. L'IE est désormais perçue comme un pilier essentiel pour protéger les intérêts stratégiques des entreprises et du pays. Cependant, comme l'a souligné Alain Juillet, l'IE a mis du temps à s’imposer en France. Bien qu’en forte croissance dans les années 2000, l'IE a traversé des périodes de stagnation en raison de la difficulté à convaincre l'administration de sa nécessité, couplée à une faible coordination entre les institutions publiques. L'absence de structure dédiée à l’IE a conduit à des pertes notables dans des secteurs stratégiques, mettant en lumière l’urgence de mieux structurer cette discipline.
Aujourd’hui, il y a une évolution de la notion d'IE, qui commence à être prise au sérieux. l’IE est indispensable à la prise de décisions stratégiques éclairées, permettant de sécuriser les technologies sensibles tout en renforçant la position concurrentielle des entreprises françaises sur la scène mondiale. Mais il faut également faire face à la réalité géopolitique : les entreprises allemandes, avec leurs ETI spécialisées dans des secteurs stratégiques, "chassent en meute" avec leurs grands groupes, créant ainsi une synergie qui renforce leur compétitivité à l’international. De la même manière, l'Italie a su développer une culture économique intégrée, avec ses ETI et grands groupes collaborant étroitement. Ce modèle contraste avec la situation en France, où les PME, souvent isolées, peinent à se structurer pour rivaliser avec des concurrents étrangers dotés de réseaux industriels plus puissants et cohérents. L'IE est donc un levier indispensable pour combler ce retard et garantir la compétitivité et la sécurité des entreprises de défense françaises face à ces puissances économiques.
Un autre aspect essentiel de l’intelligence économique, souvent négligé, réside dans son intégration dans le système éducatif et sa diffusion au sein des écoles de commerce, d’ingénieurs et de droit. Il existe une véritable lacune en France concernant la formation académique en intelligence économique, ce qui freine la professionnalisation de cette discipline. Alain Juillet a d’ailleurs souligné que, bien que des progrès aient été réalisés, la France reste en retard par rapport à d’autres pays dans la création d’une structure académique solide en IE. L'absence de modules dédiés dans de nombreuses écoles a conduit à une sous-estimation de l’importance stratégique de l’IE pour les futurs décideurs économiques et politiques.
À ce titre, l’École de Guerre Économique (EGE) se distingue comme un modèle de formation spécialisée en IE, ayant su structurer et transmettre des compétences stratégiques. Pourtant, ce modèle reste trop isolé en France. Il est nécessaire d'intégrer des modules d’intelligence économique dans les cursus des écoles d’ingénieurs, de commerce et de droit. Camille Lanet a précisé que l’État doit jouer un rôle actif en facilitant l’introduction de ces matières dans les programmes académiques. En effet, les futurs dirigeants et cadres des entreprises françaises doivent être formés à l’IE afin de comprendre son impact sur les choix stratégiques, la sécurisation des données sensibles et l'optimisation des relations économiques à l'international.
Ainsi, l’éducation à l’IE est un levier fondamental pour accompagner la professionnalisation des acteurs économiques français et renforcer la position de la France face aux autres grandes puissances économiques.
L’intelligence économique dans l’industrie de défense se décline en deux axes complémentaires : la dimension défensive et la dimension offensive.
Le rôle principal de l'IE dans cette optique est de sécuriser les informations stratégiques et de protéger les technologies critiques contre l’espionnage et les cyberattaques. L'accent est mis sur la gestion des risques dans des situations spécifiques, comme les déplacements à l’international, les participations à des salons professionnels, ou encore lors de l’embauche de profils stratégiques dans des postes clés. Il est impératif de mettre en place des mécanismes de veille pour détecter les tentatives d’infiltration ou de manipulation. Ce travail de sécurisation est d’autant plus essentiel dans un environnement où les menaces sont multiples et variées, notamment en raison de la forte interconnexion des systèmes et des réseaux.
Florian Rondé, a souligné que l’IE devient un véritable outil de protection pour les entreprises de défense, en particulier dans un contexte de mondialisation où les enjeux économiques sont de plus en plus liés à des rapports de force géopolitiques. La perte de contrôle sur les informations sensibles peut avoir des répercussions directes sur la compétitivité et la souveraineté nationale. Le rôle de l’IE est donc de veiller à cette protection tout en renforçant la résilience des entreprises face à ces menaces.
L'IE ne se limite pas à une fonction défensive. Depuis quelques années, un volet offensif a émergé, visant à exploiter les informations pour prendre l’ascendant sur les concurrents et s'imposer sur les marchés internationaux. L'IE est ainsi utilisée pour anticiper les décisions des concurrents, détecter les opportunités de marché, et influencer les décisions stratégiques au niveau géopolitique et économique. Cet aspect offensif de l’IE permet aux entreprises de défense de non seulement protéger leurs actifs mais aussi d'agir en amont pour maximiser leur compétitivité et leur influence à l'international.
Camille Lanet, a précisé que l'État, à travers la DGA, s'efforce de renforcer cette approche offensive, avec pour objectif de stimuler l'économie autonome du pays. L’IE, dans cette dimension, est un levier pour mieux orienter les stratégies économiques nationales, en particulier dans un contexte où la guerre économique est devenue un phénomène permanent. Comme l'a souligné Philippe Eudeline, l'IE doit se décomplexer pour être pleinement efficace. Dans cette optique, l’État et les grands groupes doivent jouer un rôle de coordination pour créer des synergies entre les acteurs économiques et renforcer l’impact global des entreprises de défense françaises.
L'un des défis majeurs de l’intelligence économique en France reste son intégration au sein des entreprises, en particulier au niveau des PME et des ETI. L’acculturation à l’IE est encore insuffisante, et il est nécessaire d’engager un travail de sensibilisation auprès des dirigeants d’entreprises. Alain Juillet a souligné que cette acculturation doit passer par une approche pédagogique qui permette aux chefs d’entreprises de comprendre la valeur stratégique de l'IE, non seulement pour la protection, mais aussi pour le développement économique.
Le rôle de l'État dans ce processus est déterminant. Le MinArm (ministère des Armées), par le biais de la DGA, joue un rôle clé dans cette dynamique, en soutenant la création d’une véritable culture de l’IE, à travers des structures dédiées et des actions concrètes de formation et de sensibilisation.
Le secteur de la défense repose sur une supply chain complexe, qui devient de plus en plus vulnérable face aux risques géopolitiques et économiques. Safran a mis en évidence la nécessité de sécuriser cette chaîne d’approvisionnement, tant pour protéger les informations sensibles que pour éviter toute infiltration ou prise de contrôle par des concurrents étrangers. Une supply chain mal sécurisée peut exposer des technologies sensibles à des fuites ou des manipulations, et ainsi compromettre la compétitivité des entreprises.
Les clusters de défense, tels que NAE (Normandie AeroEspace), Primus, et EDEN, jouent un rôle fondamental dans la structuration de l'IE au sein des PME, mais aussi dans l'amélioration de la collaboration avec les grands groupes industriels. Ces clusters permettent de renforcer la compétitivité et de sécuriser les chaînes de valeur, tout en facilitant le partage d'informations stratégiques.
L’État, à travers des institutions comme la DGA et le Quai d'Orsay, doit jouer un rôle central dans la coordination des efforts d’IE. Cependant, il ne peut pas se substituer aux acteurs privés, et il est essentiel de développer des partenariats solides entre le secteur public et privé. Philippe Eudeline a plaidé pour une meilleure coopération et une plus grande souplesse dans la mise en place de dispositifs de soutien à l'IE, notamment en facilitant l’accès à des cabinets spécialisés qui pourraient jouer un rôle clé dans la mise en œuvre de l'IE dans les PME.
L’intelligence économique représente un levier stratégique indispensable pour garantir la compétitivité et la sécurité de l’industrie de défense française. Pour en faire un véritable outil au service des entreprises et de l’État, il est essentiel de renforcer sa diffusion et sa pratique à tous les niveaux : de la PME aux grands groupes, et de l’État au secteur privé. L’intégration de l’IE dans la formation, l’acculturation des dirigeants d’entreprise, la sécurisation des chaînes de valeur et la création de partenariats public-privé solides constituent des étapes clés pour faire de l’IE un pilier de l’avenir économique et géopolitique de la France. C’est ainsi que l’IE pourra renforcer la souveraineté industrielle et stratégique du pays dans un monde de plus en plus interconnecté et concurrentiel.